Entre politique impériale et ambitions coloniales : de la protection à la dépossession des terres autochtones au Québec, 1805-1870

Dans l’historiographie des relations entre les Premières Nations et les Euro-Canadiens en Amérique du Nord britannique, la première moitié du 19e siècle – coincée entre la guerre de 1812 et l’avènement de la Confédération en 1867 –, demeure une période largement négligée. À maints égards, l’effacement des Autochtones en tant qu’acteurs «pertinents» dans l’histoire canadienne après la guerre de 1812- 1815, repose sur un ensemble de stratégies narratives suggérant qu’ils basculeraient alors du statut d’alliés utiles à celui de pupilles de l’État à civiliser. Brisant avec cette vision du passage «from alliance to irrelevance», notre recherche s’intéresse au programme des villages modèles expérimentaux soutenus par le département des Affaires indiennes (DAI) entre 1805 et 1870. L’étude de quatre villages autochtones du Bas-Canada (L’Avenir, Viger, Ristigouche, Rivière Désert) en tant qu’innovations sociales, économiques et architecturales vise à historiciser l’évolution des rapports entre les Autochtones, la population coloniale, et les autorités britanniques.

À l’échelle de l’Empire britannique, le début du 19e siècle marque l’amorce d’une «révolution du colonialisme de peuplement» qui engendre de profondes transformations socio-économiques dans les colonies canadiennes. Jumelée à l’ouverture de nouveaux territoires périphériques à la colonisation, l’expansion de l’économie coloniale provoque une densification et une métamorphose du monde rural. Principalement intéressée par les structures sociales, la politique et la reconfiguration de l’espace rural autour de noyaux villageois coloniaux, l’historiographie du monde rural canadien a contribué à évacuer les Autochtones de cet espace dynamique en assumant que l’échec de leurs villages agro-forestiers découlerait de leur «imprévoyance naturelle». Au lieu de présumer d’une faillite inhérente au caractère des Autochtones, nous formulons l’hypothèse que l’échec proclamé des villages expérimentaux trahit moins l’insuccès des Premières Nations à s’adapter à un nouvel environnement socioéconomique, que l’opposition des colons canadiens au modèle de développement et d’occupation territoriale promu dans ces villages permettant de protéger les titres fonciers autochtones de la spéculation coloniale.

En démontrant que le programme des villages expérimentaux est une réponse du DAI aux pétitions des Premières Nations revendiquant une protection contre le colonialisme de peuplement, cette recherche entend repositionner les Autochtones comme des acteurs socio-économiques dynamiques évoluant à la fois dans un réseau politique transnational, et au sein d’espaces ruraux marqués par des tensions avec la population coloniale. À travers les pétitions autochtones, il apparait que leur instrumentalisation de la politique impériale de gouvernance coloniale humanitaire vise à contrer la dépossession de leurs territoires par les colons.

Ce projet vise donc à :

  1. étudier la participation autochtone à l’émergence d’une politique de gouvernance coloniale humanitaire au DAI ;
  2. mettre à jour les nouvelles formes d’occupation du territoire rural et le développement des villages modèles en tant qu’innovations autochtones axées sur l’ économie agroforestière ;
  3. analyser l’impact du mouvement d’opposition des colons envers les établissements autochtones et la politique du DAI ;
  4. proposer une nouvelle interprétation de l’histoire coloniale québécoise en remplaçant le paradigme de l’« irrelevance » par une approche centrée sur la participation active des Autochtones aux transformations politiques et socio-économiques.

Chercheur principal

Arsenault, Mathieu

Financement

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